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Nain de petite
taille.
Je ne sais pas vous, mais moi
j'aime bien de temps à autre me raconter des histoires. Des histoires
drôles, ou supposées telles. Ce que l'on nomme des blagues. Ce sont
généralement des histoires que je connais déjà. J'ai essayé avec des
histoires que je ne connais pas, mais ça ne marche pas bien, je devine
toujours la fin et vous savez ce que c'est ; si l'on arrive à la chute
avant le narrateur on est déçu. C'est un peu comme arriver à l'orgasme
avant tout le monde, ça perd une grande partie de son intérêt. A moins
bien évidemment que l'on ait envie de s'endormir rapidement, mais pour les
histoires ça ne se fait pas, de s'endormir pendant qu'on vous les raconte.
Ce n'est pas poli.
Il faudra que je songe un jour ou l'autre à
valoriser ce petit talent divinatoire en m'établissant Madame Irma voit
tout sait tout, à plein temps. Je le ferai un jour, lorsque j'en aurai
assez de l'informatique, ou ce qui ne saurait tarder lorsqu'elle en aura
assez de moi, car c'est un métier qui offre quelque similitude avec celui
de diseuse de bonne aventure, on raconte n'importe quoi dans un sabir
incompréhensible du commun des mortels, on fait mine de dominer des
événements sur lesquels on n'a aucune prise et on promet toujours le
bonheur pour plus tard. Mais bon, pour l'instant ça va ; à raison
d'une version de système d'exploitation par mois je tiens encore la forme,
lorsqu'on passera à une par semaine j'irai me chercher une occupation
moins exigeante intellectuellement.
Mais je m'égare. Mon histoire
préférée est celle du cul-de-jatte qui entre chez le coiffeur, celui-ci
lui demande alors : " Faut-il vous couper les pattes ? ", ce à quoi le
cul-de-jatte furieux répond : " Vous voulez mon pied au cul ? ". Là
maintenant, il faut bien avouer qu'elle m'amuse moins qu'avant, du temps
où je ne la connaissais pas encore par cœur, mais telle que, les bons
jours, elle arrive encore à me faire hurler de rire. Je sais nul n'est
parfait, mais j'aime bien les histoires qui ne tiennent pas debout. Que
celui qui ne s'est jamais esclaffé à l'écoute d'une histoire de blondes me
jette le premier reproche. Chacun son truc, moi la gaudriole blondassière
me stimule mollement le zygomatique. Par contre si vous connaissez des
histoires de rousses, je suis preneur.
Une âme charitable à qui je la
racontais récemment, au lieu de suffoquer de rire comme je m'y attendais,
m'a fait remarquer que mon histoire sentait un peu fort sous les bras, ça
ne se fait pas de rire des infirmes. Après quelques microsecondes
d'introspection douloureuse, je fus bien obligé d'en convenir. Voilà des
années que je pataugeais dans l'abjection la plus immonde avec
l'insouciante allégresse du goret piétinant sa soue.
J'ai honte, je n'étais pas
politiquement correct. Oh je sais bien, allez ! Ce que des esprits se
piquant de non conformisme vont me rétorquer, que le politiquement correct
c'est ceci et c'est cela, une espèce de novlang, une tambouille langagière
au milieu de laquelle surnagent de gros bouts de mots ayant perdu toute
signification. Ce sont là arguties d'esprits chagrins notoirement
portés à la critique stérile. Le politiquement correct dans sa variété
parlée, c'est merveilleux. Il faut être vraiment de mauvaise foi pour
critiquer un dispositif aussi ingénieux, qui passe les réalités
déplaisantes à la moulinette des mots qui dérangent le moins possible. De
plus, ce qui n'est pas rien aujourd'hui où se perd si facilement hélas,
l'amour du beau langage, ça vous oblige à une constante inventivité,
nécessitant le recours à moult circonlocutions, force périphrases et
autres acrobaties sémantiques pour ne faire de peine à personne. Et ça
c'est bien. Enfin je trouve.
Avant le politiquement correct
existaient des infirmes, ça n'était pas gai, surtout pour eux. Maintenant
il n'y a plus que des gens un peu moins normaux que les autres. Plus de
nains mais des personne de petite taille, des non-grands ou des PVC
(personnes à verticalité contrariée). Il n'y a plus de culs-de-jatte mais
des personnes à motricité inférieure absente, plus d'aveugles mais des
non-voyants, plus de sourds mais des malentendants. Bien sûr tout
n'est pas parfait, on continue à dire des chiens d'aveugles, alors que
l'on pourrait tout aussi bien dire des auxiliaires canins pour personnes à
déficit de visibilité, mais on ne dit pas malentendant comme un pot, ce
qui est toujours ça de gagné. Evidemment on n'est pas certain que les
nains en sortent grandis pour autant, ni que ça leur fasse une belle jambe
aux culs-de-jatte, mais on ne va tout de même pas critiquer ce qui nous
aide à supporter la misère d'autrui avec autant de stoïcisme
déculpabilisant. Non ? Enfin bon, vous faites ce que vous
voulez
Je suis sûr qu'aujourd'hui chez
Walt Disney on n'oserait plus sortir Blanche Neige et les sept nains, on
appellerait ça Blanche Neige et les sept nains de petite taille, dans
lequel on mettrait des personnes à hauteur réduite de deux mètres de haut
pour ne vexer personne. Mais enfin ce n'est pas grave parce que ce
n'est pas le meilleur de chez Disney, et ce n'est qu'un effet de bord
négligeable au regard du reste. Imaginez par exemple un dialogue
antédiluvien, comme heureusement il ne peut plus en exister : " Vous
faites quoi dans l'existence ? - Pauvre - Beurke. " Ça c'était
dans un ténébreux passé. Aujourd'hui ça donne : " Vous faites quoi dans
l'existence ? - Socialement défavorisé. - Vous reprendrez bien un
doigt de porto ? " Ça vous pulvérise les barrières sociales, sans
coûter un seul sou au contribuable.
En attendant moi je me demande
bien avec quoi je vais me faire rigoler à présent, parce que j'ai essayé
de reformuler mon histoire favorite pour la rendre politiquement
acceptable, et ça donne à peu près ça :
C'est une personne à motricité
inférieure inexistante qui pousse la porte d'un commerce de proximité
ayant pour finalité l'entretien capillaire, oeuvre d'un plasticien du
cadre de vie, réalisée dans le cadre de la réhabilitation d'une zone
urbaine périphérique socialement défavorisée. Arrive le capilliculteur,
qui s'enquiert auprès du consommateur potentiel en situation de demande,
de l'utilité de lui raccourcir la partie chevelue qui fait jonction avec
la zone pileuse faciale. Ce que voyant, la personne à déplacement
horizontal assisté par chariot, fait part au capilliculteur de proximité
de son courroux et de l'éventualité de témoigner au postérieur d'icelui,
de la vigueur matériellement avérée de son mécontentement
foncier.
C'est marrant si j'ose dire,
mais comme ça elle ne me fait plus rire du tout. Si quelqu'un dans la
salle avait une bonne histoire de blondes approuvée par les chiennes de
garde…
Ce serait pour un
échange.
MachiN |
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