numéro 8 - octobre 1999 par Emile Servan-Schreiber SOMMAIRE Médecine Greffe de tête Le neurochirurgien américain Robert White n'a qu'une chose en tête : rendre possible la greffe du cerveau d'un corps à un autre. Malheureusement, explique-t-il dans le dernier hors série du magazine Scientific American [1], "le cerveau humain ne peut pas fonctionner proprement sans la tuyauterie du corps et de la tête. Donc une greffe de cerveau, au moins au début, sera en réalité une greffe de tête -- ou de corps, suivant la perspective que l'on adopte". Ce ne serait que provoquant si il n'avait pas, en 1970, déjà greffé la tête d'un singe sur le corps d'un autre (dont la tête avait été enlevée précédemment). En se réveillant de l'anesthésie, le singe retrouva même tous ses esprits : son agressivité, sa capacité à manger et à suivre le bon docteur des yeux. Sa tête vécu ainsi huit jours sur le corps d'un autre. Au vu des progrès réalisés dans les trente dernières années par les techniques de greffes d'organes et même, récemment, de mains, le Dr White pense que la greffe de tête pourrait être, dans les dix ans à venir, une réalité clinique. Dans ce but, ses collègues et lui ont déjà mis au point une méthode de refroidissement du sang qui ralentit suffisamment le métabolisme du cerveau pour pouvoir le priver de sang pendant près d'une heure, le temps de débrancher et de rebrancher la tête d'une "tuyauterie" à l'autre. "Le plus difficile sera d'empêcher la tête de rejeter son nouveau corps, et vice versa", prévient-il. Pour tenter l'opération sur l'homme, les corps ne manquent pas : ce serait celui de l'une des victimes de ces comas profond, au cerveaux liquéfiés, sur lesquels on prélève déjà régulièrement des organes. Il ne manque en fait plus qu'une tête volontaire... Remarquons pour finir que l'intelligence de la créature résultante serait indubitablement à la fois innée (du point de vue de la tête) et acquise (du point de vue du corps), ce qui apporte une solution particulièrement élégante au débat évoqué ci-dessous.
Au sommaire des numéros précédents des Dernières Nouvelles de L'Espèce : numéro 9 : robots carnivores + accouchement par
centrifugeuse Intelligence Pendant l'été, le débat sur l'origine de l'intelligence -- innée ou acquise ? -- est repartit de plus belle après la publication de deux études fracassantes. D'abord, le psychobiologiste Michel Duyme (de l'INSERM), a montré que le QI d'un enfant pouvait être considérablement augmenté en améliorant le niveau socio-économique de son environnement [2a]. Les sujets de son étude étaient des enfants d'origines très modestes, souvent victimes de maltraitances, puis adoptés entre 4 et 6 ans. A ce moment, leurs QI étaient très faible : moins de 85, alors que la moyenne de la population est à 100. Mais cinq à dix ans plus tard, au seuil de l'adolescence, tous avaient gagné des points précieux : entre 8 et 20, suivant le niveau socio- économique du milieu d'adoption... précisément de quoi replacer certains dans la moyenne nationale. Ce résultat étonnant constituait-il enfin, comme le titrait alors Le Monde avec un enthousiasme attendrissant, la preuve de "la prédominance de l'acquis sur l'inné" ? [2b]. Pas si sûr, au vu d'une étude américaine, paru juste après, qui rapporte la création d'une souris transgénique super-intelligente [2c]. Des chercheurs des universités de Princeton et MIT ont modifié le patrimoine génétique de souris ordinaires de façon à ce que les connexions entre leurs neurones se fasse et se défassent plus facilement. Résultat : celles-ci apprennent plus vite et sont plus avides de nouveauté que leurs congénères. Comme le gène modifié est commun à tous les mammifères, les auteurs de l'étude n'ont pas peur de conclure que "l'amélioration génétique d'attributs mentaux comme l'intelligence et la mémoire est possible chez les mammifères", y compris les humains. Dans le cerveau humain, l'activité de ce gène s'atténue naturellement avec l'age et cela pourrait être en partie responsable de la rigidité mentale qui finit par tous nous gagner. (L'expression "vieux con", aurait donc un fondement biologique.) Mais au fait, c'est quoi l'intelligence ? Bonne question. En tout cas, Michel Duyme, cité dans Le Monde, essaye ainsi d'expliquer pourquoi il ne faut pas la confondre avec le QI : "On ne peut pas mesurer l'intelligence. Le QI est un indicateur de comportement intellectuel. En d'autres termes, une augmentation de QI signifie que l'on est plus à même d'accomplir des performances intellectuelles complexes". Et ce n'est pas de l'intelligence, ca ? Hélas, il semble bien que le concept soit si obscur que même les meilleurs d'entre nous deviennent incohérents quand ils en parlent...
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Innerview Juan Antonio Samaranch Le président du Comité International Olympique devient le sixième "cerveau" dans la section Cerveaux Associés de L'Espèce. Il a sauvé les Jeux Olympiques des boycotts et de la ruine pour en faire le plus formidable événement sportif de tous les temps. Mais quelle flamme l'anime, lui ? Psychologie Les stéréotypes sexistes qui polluent les spots publicitaires atténueraient l'intelligence des femmes. Pour le prouver, un psychologue canadien demanda récemment certaines "matheuses" en première année d'université de plancher sur un test de mathématiques immédiatement après avoir regardé des pubs ou le personnage féminin ne brillait pas par son intelligence. Dans la première, une jeune fille était surexcitée par une nouvelle crème anti-acné. Dans l'autre, une ménagère bavait devant une nouvelle recette de gâteau. Résultat, les notes des furent en moyenne moitié moins bonnes que celles d'autres étudiantes non exposées aux images sexistes. [3a]. Paul Davies, de l'université de Waterloo, en Ontario, explique que les victimes de la pub étaient très préoccupées par le fait de se distancier du stéréotype insultant et, du coup, moins concentrées sur l'examen lui même. Et quid de l'influence des stéréotypes sur le QI des hommes ? Une étude américaine des performances intellectuelles des héros masculins que sont les footballeurs a trouvé que celles-ci diminuent en proportion directe du nombre de "têtes" portées au ballon [3b]... Les Ronaldos en herbe sont prévenus! Clonage Les créateurs de la brebis clonée Dolly se sont rendus compte que la copie n'était pas parfaite. Et ceci pourrait être une chance pour les couples lesbiens. En fait il y a deux types d'ADN : celui qui se trouve dans le noyau des cellules et qui programme notre développement physique, et celui qui se trouve dans les mitochondries, ces petites usines qui fournissent l'énergie aux cellules. Quand, pour créer un clone, on remplace le noyau de l'oeuf par un autre venant d'une cellule du donneur, les mitochondries du clone héritent quand même de l'ADN mitochondrial de l'oeuf et non du donneur. Pour Ronald Green, directeur de l'institut d'éthique de l'université de Dartmouth, aux Etats Unis, ceci permettra aux couples lesbien d'approximer la reproduction sexuée quand le clonage humain sera au point. Le clone de l'une, porté par l'autre, héritera de l'ADN de l'une et de l'ADN mitochondrial de l'autre : ainsi, comme les autres enfants, il sera un doux mélange de ses parents... [4a]. Ceci pourrait aussi aider à régler un problème frustrant pour les coupes lesbiens actuels qui ont adopté un enfant. Une étude menée au Massachussetts, l'un des seuls états américains qui permet l'adoption homosexuelle, conclut que les enfants insistent pour imposer à l'une le rôle de source principale de confort et nourriture, et à l'autre le rôle de partenaire de jeu. Mais, alors que, dans les couples hétérosexuels, ces rôles sont en général respectivement assumés par la mère et le père de façon naturelle, dans les couples lesbiens adoptifs, les deux partenaires voudraient bien être la "mère" au moins de temps en temps [4b]. Or l'enfant, lui, veut clairement diviser les rôles... Probablement pour mieux régner. Puberté La plupart des jeunes filles sont pubères à l'âge de 13 ans, mais la relation au père influence apparemment la précocité. Selon des psychologues américains qui ont suivi 173 jeunes filles de 5 à 13 ans, plus le père et la fille sont proches et plus il s'est occupé d'elle dans les cinq premières années de sa vie, plus la puberté arrive tard [5]. (La relation à la mère est, sur ce point au moins, pratiquement insignifiante.) Pour les chercheurs, la jeune fille "ajuste inconsciemment" l'heure de sa puberté en réponse au comportement de son père. Si celui-ci est distant et n'investit pas assez sur elle, elle accélère sa maturation sexuelle dans le but de trouver plus rapidement un partenaire qui investira à sa place... Une stratégie de survie qui serait maintenant profondément inscrite dans sa biologie par des millions d'années d'évolution. Stratégie sexuelle
L'année dernière, dans le numéro 2 de L'Espèce [6a], nous avions déjà parlé de ces psychologues écossais qui avaient découvert que les femmes préfèrent les hommes aux visages 15% plus féminins que la moyenne. Dans leurs expériences, les femmes pouvaient faire varier par ordinateur la féminisation ou masculinisation de visages "moyen" composés à partir de plusieurs dizaines de visages individuels. Ils en concluaient qu'aux yeux des femmes, les visages d'hommes légèrement féminisés expriment davantage de chaleur, de sincérité et de capacité à être un bon père, alors que les visages plus masculins trahissent un niveau de testostérone plus élevé qui, bien qu'indiquant une bonne immunocompétence, désirable pour la progéniture, peut aussi inciter à la violence domestique ou à l'infidélité. Cette année, les chercheurs ont affiné leurs résultats en montrant que le degré de féminisation préféré varie en fait au cours du cycle menstruel, et selon le genre de relation espéré [6b]. Pour une relation à long terme, le degré de féminisation préféré reste constant à 10% tout au long du cycle menstruel. Par contre, pour une relation à court terme, plus le risque de conception est grand, plus les femmes préfèrent les traits masculins : seulement 8% de féminisation au lieu de 15% quand le risque de conception est nul (mais chez celles qui prennent la pilule, il n'y a pas de différence). Les chercheurs y voient un indice de plus que la stratégie sexuelle des femmes est naturellement mixte : "Choisir un partenaire à long terme dont l'apparence 'féminine' suggère la coopération et l'investissement dans le ménage, mais copuler occasionnellement avec un mâle à l'apparence plus masculine (indiquant une bonne immunocompétence) en phase de conception probable". EN BREF... Un téton dans l'oreille Le cerveau en kit Utérus artificiel -------------------------- [1] White (1999). Head transplants. Scientific American Presents, 10,
3.
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